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gravité futilité 2

Le tapirage

17 Février 2016 , Rédigé par richard Monnier Publié dans #tapirage

Le Tapirage

Dans la revue Pour la Science du mois de Février 2016, un article sur le tapirage nous apprend que les indiens d'Amazonie savaient changer la couleur des plumes d'oiseaux vivants. Le principe du tapirage repose sur l'introduction d'une substance dans la peau de l'oiseau, plus exactement, sur les emplacements des plumes que l'on a préalablement arrachées. Cette substance est composée de graines de Courou connues pour leur qualité pigmentaire et de sécrétion de la peau d'amphibiens, utilisée couramment par les indiens comme poison dont ils enduisent leurs flèches et qui sert ici vraisemblablement à fixer le colorant.

La pratique du tapirage ne révèle pas seulement la profonde connaissance qu'avaient les indiens de la flore et de la faune. La complexité du processus mis en œuvre et le choix exclusif de deux espèces (perroquets (psittacidés) d'une part et grenouilles vénéneuses (dendrobates) d'autre part) supposent une approche plutôt technique, pour ne pas dire expérimentale avec les multiples substances végétales et animales que contient la forêt tropicale. S'il est très simple de savoir que la peau d'un amphibien secrète une substance vénéneuse en constatant qu'elle provoque de vives brûlures à son contact et de-là d'inférer qu'on peut utiliser la nocivité de cette substance pour la chasse, il est en revanche impossible de constater et de reproduire accidentellement un processus qui exige de maîtriser l'interaction entre des pigments végétaux et des secrétions animales sur le corps d'un autre animal d'une tout autre espèce. D'après l'auteur de l'article Serge Berthier, « Seule une étude relativement longue sur le terrain permettrait de comprendre et d'apprécier la réalité du tapirage et de le reproduire un jour en laboratoire […] D'un point de vue scientifique, il ne peut s'agir que d'une démarche pluridisciplinaire faisant intervenir des domaines très éloignés et peu habitués à travailler ensemble : ethnologues, artistes, chimistes, physiciens et généticiens. » L'auteur ajoute dans sa liste un généticien parce que certains observateurs qui ont séjourné au Brésil, affirment que les plumes repoussaient avec les mêmes nouvelles couleurs (jaune et rouge au lieu du vert) au cours des mues successives sans avoir à renouveler le traitement. Cela signifie que tout le système organique qui génère les plumes de l'animal a subi une transformation. Dans notre environnement urbain, nous avons pu observer chez les bipèdes, bien avant que cela soit devenu une mode, un exemple naturel de changement de couleur de mèches de cheveux qui deviennent subitement blanches. Suivant l'explication courante qu'on donne à ce phénomène, le sujet concerné aurait subi un traumatisme lié au stress ou à un choc affectif assez violent pour altérer non pas seulement la couleur mais le processus de croissance des cheveux. Par analogie, on peut penser à la violence du traitement que doit subir le perroquet dont la peau fraichement déplumée est imprégnée d'une substance (la batrachotoxine) qui provoque des brûlures et qui peut être mortelle, le seul animal insensible à ce poison étant un serpent qui est justement le prédateur de la grenouille qui le secrète.

Le développement de cette pratique implique un temps d'élevage et de domestication des perroquets « traités ». Ces considérations sur le tapirage nous éloignent des images habituelles de l'indien, cueilleur chasseur vivant frugalement des ressources de la forêt tropicale. A l'image de ce que nous croyions être l'attitude de l'occidental qui exploite les produits de la nature à son profit, nous voyons ici l'indien s'immiscer, s'interposer dans un processus naturel pour produire un artifice qui servira d'ornement pour les parures des personnes de rang élevé. Comme l'artiste, l'indien manifeste ici, une maîtrise des effets et même un souci de distinction qui contredit le stéréotype de l'indien vivant en symbiose avec la nature.

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C
D'accord, mais y a-t-il un rapport avec le tapir ??<br /> Blague à part, est-ce que l'article expliquait pourquoi les indiens avaient mis au point cette technique ? Je veux dire, est-ce que c'est pour des raisons pratiques, parce que les couleurs étaient plus belles ainsi, ou mieux fixées (par rapport à ce qui était obtenu sur une plume déjà arrachée par exemple), ou est-ce que ce qui domine, c'est justement le kiff de modifier l'animal vivant, de prendre le pouvoir sur son environnement etc ?
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R
L'origine du mot tapirage reste très incertaine. La locution la plus fréquente est "perroquet tapiré". La meilleur référence en la matière est l'article d'Alfred Métraux.<br /> "Métraux Alfred. Une découverte biologique des Indiens de l'Amérique du Sud : la décoloration artificielle des plumes sur les oiseaux vivants. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 20, 1928. pp. 181-192.<br /> doi : 10.3406/jsa.1928.3646<br /> http://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1928_num_20_1_3646"<br /> Un article où plusieurs témoignages nous apprennent que le tapirage était une pratique "somptuaire" : les plumes ornaient les vêtements des dignitaires. Comme vous dites c'est "le kiff de modifier l'animal vivant" qui devait motiver les indiens pour ce qu'on peut reconnaître comme étant un art (ou une science ?) en tous les cas un goût pour l'artifice.