Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
gravité futilité 2

Bara Bahau. La main grave la main.

19 Octobre 2019 , Rédigé par richard Monnier Publié dans #Bara Bahau, #préhistoire

La grotte de Bara Bahau est le seul site préhistorique qui ait conservé le dessin d'une main gravée à partir d'une griffade d'ours. En ajoutant les contours des doigts aux 4 traits d'une griffade, l'homme des cavernes se montre attentif aux traces des animaux comme tout bon chasseur mais ici, il cherche à ajouter ses propres traits à un signe qui manifeste l'ancienne présence dominante de l'ours. Après avoir appris à lire en suivant les traces laissées par les animaux, le chasseur aurait-il eu envie de dessiner, stimulé par les griffades ?

Contrairement aux autres dessins préhistoriques (animaux, mains négatives ou certains symboles « abstraits ») qui ont été l'objet de multiples interprétations, la main de la grotte de Bara Bahau a très peu retenu l'attention des préhistoriens. Étant unique, elle est difficilement classable, elle ne rentre pas dans un répertoire de formes connues ou dans un corpus qui pourrait constituer un objet d'études. Sa nature hybride (mi-ours, mi-homme) en fait même un objet accidentel, trop particulier pour ceux qui veulent élever leur recherche à une science du général. Ce faisant, en laissant de côté une œuvre qui ne rentre pas en conformité avec leurs méthodes, les préhistoriens l'isolent dans sa singularité et en font un objet sans pareil. Une œuvre dénuée de tout voile interprétatif, dont l'accès immédiat est heureusement entretenu par l'indifférence des préhistoriens à son sujet, c'est assez pour exciter la curiosité d'un artiste.

Accès immédiat qui est possible également grâce à la configuration de la caverne qui me place réellement dans une proximité physique avec l’œuvre. Même en tenant compte des différents phénomènes géographiques postérieurs à la gravure comme l'érosion du sol due à l'écoulement des eaux souterraines ou comme les effondrements de voûte par exemple, je me trouve bien dans le lieu où elle a été exécutée. Tout en scrutant les accents de chaque traits modulés suivant la densité de la roche, je me rends compte que les conditions de réalisation de la main ont été conservées elles aussi et cela lui confère une troublante actualité.

Pendant que le guide modifie les éclairages pour faire apparaître les reliefs de la paroi sous différents aspects, je me retrouve seul à seul devant cette gravure difficile à déchiffrer autant peut-être qu'elle a été difficile à exécuter. Loin de la virtuosité spectaculaire des grottes ornées d'animaux identifiables grâce à des détails anatomiques précis, la main de Bara Bahau impose sa gaucherie. Elle ne me fait pas rêver. Sans disposer d'une histoire qui me permettrait de l'approcher et sans possibilité d'évasion vers un imaginaire, je suis devant une griffade d'ours, celle-là même qu'un humain a choisi comme motif.

 

*

Quand l'homme des cavernes dessine une main à partir d'une griffade d'ours, celle-ci n'est plus seulement une trace du passage de l'animal, elle devient le signe qui incite l'homme à fixer ses propres repères. En même temps qu'il admet la préséance de l'ours, il apprend à se reconnaître. C'est par mimétisme qu'il va pouvoir se distinguer. A ce stade, l'homme ne traque plus une proie, ce qu'il capte n'est pas une prise, il se cherche comme modèle. Son acuité momentanément libérée des nécessités de la chasse, son champ de vision s'élargit ; il perçoit entre les quatre traits verticaux produits par le coup de griffes les premiers indices d'une mire.

 

*

Pendant la visite, le guide m'informe que la main de Bara Bahau date de l'époque Magdalénienne. L'exactitude concernant la datation de cette œuvre, alors que je suis encore sous son emprise, me paraît bien accessoire d'autant plus que son exécution sommaire ne témoigne pas précisément d'une évolution des techniques ni du savoir faire de cette période. Elle aurait pu être réalisée bien avant ou après sa datation officielle. Là encore, cette œuvre est un objet inutile pour les préhistoriens qui ne peuvent pas la poser comme jalon d'une évolution. Elle ne peut être intégrée aux grandes questions de l'origine de l'homme qui préoccupent tellement les paléontologues. Elle ne m'éloigne pas dans un passé, elle pointe le moment où l'homme se découvre lui-même. Elle ne témoigne pas de ce que l'homme a pu être, elle me montre ce que je suis.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article