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Autobiographie synchrone
Deux événements majeurs marquent l'année de ma naissance.
L'artiste américain Robert Rauschenberg expose des panneaux de peinture blanche qu'il considère comme des surfaces sensibles. Celles-ci révèlent les variations lumineuses de l'environnement proche. C'est sa façon de redécouvrir le nouveau monde.
Alberto Giacometti peint une pomme posée sur une commode. Sur les restes de l'ancien monde, il expose le fruit d'un nouveau désir. Robert et Alberto, tous deux à la recherche d'un regard neuf, compagnons de ceux qui voient le jour.
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Quelques années plus tard, Eric Tabarly gagne la course transatlantique en solitaire et il s'impose sur les mers avec ses Pen Duick pendant plusieurs années durant lesquelles, porté par une solitude active, j'aborde et je commence à composer les premiers objets qui vont constituer mon horizon.
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Alors que des hommes posent pour la première fois les pieds sur la lune, j'atterris à l'école des Beaux-Arts où je rencontre des trotskystes, des maoïstes et un adepte de la secte Moon qui me traitent, tour à tour, d'anarcho-petit-bourgeois, de valet du capitalisme et de charognard. De là vient sans doute, mon souci de distinction.
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Pendant mon séjour à New-York, je prenais plaisir à emprunter à pieds le Williamsburg Bridge dont la structure entièrement métallique formait une sorte de cage de résonance qui amplifiait les vibrations dues au passage des voitures et du métro. J'éprouvais la sensation paradoxale d'une musique industrielle suspendue en plein-air. Pendant ce même séjour, j'ai visité le Saint John's Rotary Arc, une sculpture de Richard Serra installée récemment au milieu d'un rond-point. Cette œuvre avait provoqué une polémique qui faisait encore beaucoup de bruit, sans jamais atteindre toutefois la qualité des sons du Williamsburg Bridge qui est pour moi le seul monument horizontal de New-York.
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Pour mon anniversaire, je loue une machine à faire la barbe à papa. Au cours de cette journée très familiale et modérément alcoolisée, j'introduis des bâtons de colle thermofusible dans la machine au lieu d'y verser du sucre en poudre. J'invente ainsi, par hasard, les barbes à papa synthétiques, 63 ans seulement après la découverte de la pénicilline.
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Fort de mes avancées expérimentales, je consulte le livre de François Lepage intitulé Éléments de Logique Contemporaine et je note à la page 39 : « La méthode des matrices : l'idée de départ est de représenter l'ensemble des mondes possibles par un rectangle ». Je me retrouve donc, de nouveau, 50 ans après les monochromes de Rauschenberg, devant une simple forme abstraite qui a l'ambition de contenir le monde. J'ai l'impression de ne pas avoir avancé alors que tous les médias annoncent l'imminence du passage à l'euro.
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Le temps passe. J'entreprends de faire une collection de phrases qui contiennent un verbe conjugué au futur antérieur, par exemple : « Il aura fait beau aujourd'hui ». La personne qui prononce cette phrase exprime une satisfaction, elle considère, elle suspend un moment heureux. Elle étend ce moment sur toute la journée telle qu'elle s'en souviendra.
Est-ce pour suspendre le temps présent que j'éprouve le besoin d'écrire ce que ma vie aura été ?
Richard Monnier
