Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
gravité futilité 2

Goethe, Lichtenberg, l'impossible collaboration.

24 Décembre 2023 , Rédigé par richard Monnier Publié dans #18ème siècle, #Georg Lichtenberg, #Goethe

Un cadeau de Noël pour mes fidèles lecteurs et lectrices

 

A propos de deux textes qui traitent du même sujet : l'impossible collaboration entre Goethe et Lichtenberg.

 

1- "Réaction de Lichtenberg aux Contributions à l'Optique de Goethe", Horst Zehe.

Extrait du catalogue "Georg Christophe,Lichtenberg, Wagnis der Aufklärung" Darmstadt, Göttingen 1992. Editions Carl Hanser. Télécharger le document pdf :

 

2 - "Goethe et Lichtenberg, Considérations sur la nature du dilettantisme" Martin Domke, 1935, Gerhard Schulze Leipzig. Télécharger le document pdf :

 

https://1drv.ms/b/s!Al_6lqsHRcDcgttrH_Pk0b9W5AeRHQ?e=YcHCkv

 

Ces deux textes citent des extraits des mêmes lettres échangées entre Goethe et Lichtenberg et c'est étonnant de constater que Horst Zehe ne mentionne pas le travail de M. Domke dont le nom n'apparaît même pas dans l'index du catalogue qui est pourtant une somme (37 auteurs) qui fait le point sur tout ce qui touche l’œuvre de Lichtenberg.

 

30 pages pour nous faire comprendre que les deux hommes ne se sont jamais vraiment rencontrés. M. Domke rend bien compte de la visite de Goethe à Lichtenberg chez lui à Göttingen, mais en considérant tous les extraits de leur correspondance, l'auteur met en évidence l’ambiguïté de la relation des deux hommes que beaucoup de choses séparent. D'un côté, le physicien (jeune professeur à l'université de Göttingen) considère les recherches sur la couleur de Goethe comme un passe-temps d'amateur et de l'autre côté, l'auteur déjà célèbre (Les Souffrances du Jeune Werther ont eu un grand retentissement) considère les pamphlets du physicien et ses commentaires des gravures de Hogarth comme un loisir d'amateur. Mais rien de ce que je dis là n'est énoncé explicitement dans la correspondance des deux hommes. Goethe écrit plusieurs fois à Lichtenberg pour lui demander de collaborer à ses travaux sur les couleurs ou au moins de les reconnaître. Les réponses de Lichtenberg montrent qu'il fuit les demandes de Goethe. Il n'aborde pas les questions d'optique posées par son correspondant et sauve leur relation amicale, en lui envoyant un de ses Commentaires des gravures de Hogarth.

A grand renfort de "physiognomonie", Martin Domke suppose que Lichtenberg devait souffrir d'un complexe d'infériorité, il était bossu et cherchait à le dissimuler et il était de condition modeste. Par contre, plusieurs témoignages confirment que Goethe était beau, homme de théâtre qui avait beaucoup de prestance, amplifiée sans doute par son rôle de conseiller du Duc de Weimar. On sait que Lichtenberg tenait le meilleur de ses réflexions dans des cahiers qui ne seront publiés qu'après sa mort, et M. Domke suppose une forme de "ressentiment" chez le physicien qui voyait chez Goethe une aisance mondaine et une facilité à publier aussi bien ses romans que ses écrits dits scientifiques. Alors que Lichtenberg s'est dépensé dans de multiples expériences et s'est dispersé  dans de multiples réflexions sans jamais en faire une synthèse, Goethe, lui, éditait en plus de ses écrits littéraires, un Traité des Couleurs et une théorie sur La Métamorphose des Plantes.

Une raison plus simple pourrait expliquer l'indifférence polie de Lichtenberg envers Goethe : c'est l'aversion déclarée du poète envers la méthode scientifique qui cherche à analyser en décomposant et en quantifiant les éléments de son objet d'étude, alors que, en bon romantique, il voulait aborder les phénomènes naturels dans leur globalité et sur le terrain sensible de ce que nous appellerions aujourd'hui la perception. Et c'est précisément sur ce terrain qu'il y aurait pu avoir une entente entre les deux hommes car Lichtenberg suivait toutes les communications de l'Académie royale des sciences de Londres, il connaissait les expériences de Buffon sur les couleurs dites "accidentelles" et les expériences de Ben Franklin sur les contrastes simultanés. Mais toutes ses notes de lecture ne seront accessibles qu'après sa mort dans l'édition posthumes de ses cahiers. Et au moment où il prend contact avec Lichtenberg, Goethe n'en est pas encore à ses couleurs qu'il appellera "physiologiques" (perçues), ce chapitre figurera dans l'édition définitive de son Traité des Couleurs qui paraîtra lui aussi, après la mort de Lichtenberg. D'où sans doute l'impossibilité d'un accord.

 

Horst Zehe revient sur l'attitude hautaine de Goethe manifestant son aversion envers Newton : "le blanc écœurant de Newton" et Goethe attend de Lichtenberg qu'il "soit délivré de la loi", dit-il dans une lettre adressée à Herder. Il espère la collaboration d'un "mathématicien sans préjugés". Il considérait que c'était l'affaire "du mathématicien spirituel de chercher lui-même où la théorie des couleurs [de Goethe] a besoin de son aide". Avant de lire ces textes, je ne comprenais pas pourquoi Goethe cherchait tant une reconnaissance de ses travaux auprès d'une université qu'il critiquait comme conservatrice de dogmes. Le choix des citations de Zehe nous permet de préciser ce que Goethe appelait une collaboration. Goethe attendait en fait, que le mathématicien fournisse une base scientifique à ses intuitions. Cela donne un autre sens à l'indifférence polie de Lichtenberg envers les sollicitations de Goethe. Lichtenberg et aussi bien Goethe semblent ici, s'être retranchés dans des rôles, d'une part le physicien laborieux, enfermé dans sa spécialité, enseignant des méthodes d'expérimentations à ses étudiants, et d'autre part, le poète inspiré, curieux des lois générales de la nature et diffusant généreusement ses connaissances lors de réunions mondaines. Cette opposition, qui pourrait être modérée par une analyse plus fine de toutes les activités des deux protagonistes, illustre néanmoins un moment historique. Cette fin du 18ème siècle où la communauté scientifique naissante prend conscience d'elle-même à une échelle européenne et où les traditionnels détenteurs du savoir, contraints de reconnaitre cette nouvelle entité, s'inquiètent de maintenir leur autorité.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article