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gravité futilité 2

Anish Kapoor 0.2

9 Mai 2017 , Rédigé par richard Monnier Publié dans #sculpture, #Anish Kapoor, #société, #Fabrice Pichat

Dans le post précédent, je rappelais comment A. Kapoor, après avoir acquis l'exclusivité du pigment noir Vantablack, avait été « doublé » par un collectif d'artistes et de chercheurs qui ont produit un pigment quasi équivalent appelé Black 0.2 pour le mettre en vente libre. Sans diminuer l'importance de ce fait de société, je voudrais revenir sur la décision de A. Kapoor qui me paraît encore plus malheureuse d'un point de vue artistique quand on la situe dans l'évolution de son œuvre propre.

Dès le début des années 80, A. Kapoor utilisait du pigment qu'il saupoudrait sur ses sculptures  posées directement sur le sol. Le pigment de couleur pure débordant sur le sol autour des sculptures formait une sorte « d'aura » lumineuse. Cette pratique distinguait le sculpteur de ses contemporains influencés par l'art minimal qui cherchaient encore à intégrer leurs œuvres dans l'espace de la galerie et à les mettre en relation avec ce qu'ils appelaient « l'espace réel ».

En 1989, A. Kapoor expose des sculptures intitulées Void Fields  constituées de blocs de pierres approximativement parallélépipédiques mesurant environ 1 m cube et au-dessus desquels on pouvait se pencher pour voir un trou dont l'ouverture mesurait une dizaine de centimètres et dont la cavité, recouverte de pigment noir, échappait à toute mesure (a deep velvety hole coated with black pigment). Le contraste qu'il y avait entre l'aspect concret des pierres et le trou noir opaque qu'on pouvait percevoir de loin comme une pastille mate et de près comme un puits (sans fond) ou comme l'entrée d'une grotte (sans les ombres), était déstabilisant et fascinant.

En 1992, pour la documenta de Kassel, A. Kapoor expose  Descent into Limbo , un édifice cubique de 6 m de coté dont seulement un mur est doté d'une entrée étroite. A l'intérieur, un trou d'environ 1,50 m de diamètre est creusé dans le sol et recouvert de pigment noir comme pour les pierres de Void Fields. Avec ce changement d'échelle, l'artiste ne produit pas seulement un agrandissement d'une œuvre, il en change la nature. Descent into Limbo n'est pas une sculpture, c'est un temple où le spectateur est confronté à un vide dans lequel il pourrait chuter. Cette sensation est amplifiée par le fait que le visiteur isolé du monde extérieur est en quelque sorte plus contraint, sans repères contrairement à Void Fields où le visiteur avait toute latitude pour passer instantanément de la sensation de profondeur insondable du trou noir à l'aspect concret et fini de la pierre et où il était libre de composer une relation avec l’œuvre. La possibilité de faire le choix entre céder à une illusion et pouvoir en même temps mesurer les limites de cette illusion, constituait toute la force paradoxale de Void Fields.

Après le succès de Descent into Limbo, A. Kapoor a eu les moyens de réaliser de très grandes œuvres qui vont produire des effets puissants et dominateurs : miroirs déformants C Curve , structures gonflables Leviathan devant lesquelles ou à l'intérieur desquelles le spectateur ne peut que constater qu'il n'aura jamais assez de ses membres pour pouvoir les embrasser. Le sculpteur cherchait à produire du vertige, le changement d'échelle en produit à tous les coups en lâchant le visiteur dans le vide de figures évidentes.(1)

Première hypothèse :

En considérant son évolution artistique sur 30 ans pendant lesquels ses premières sculptures douées d'ambivalence disparaissent au profit d'images plus univoques qui satisfont (ou provoquent) spontanément un plus grand public jusqu'à pouvoir devenir l'œuvre signal des jeux olympiques de Londres, A. Kapoor, s'est peut-être avisé qu'il était temps de raviver sa propre flamme. L'acquisition de l'exclusivité des droits sur le pigment Vantablack pouvait alors prendre place dans la recherche d'une nouvelle distinction et l'emploi de ce pigment fournir un gage d'authenticité pour les œuvres à venir.

Deuxième hypothèse :

Quand on fait une recherche sur l’œuvre de A. Kapoor intitulée Yellow, le navigateur nous offre une voluptueuse surprise. On découvre qu'il existe une mannequin nommée Kareen Kapoor qui sait elle aussi donner forme à la couleur pure. En réaction à cette concurrence, l'artiste aurait acquis l'exclusivité d'un pigment noir pour garantir son originalité menacée par les moteurs de recherche.

Evidemment, ces hypothèses ne sont pas très sérieuses mais elles peuvent rendre compte de la situation dans laquelle se trouvent acculés certains artistes trop sollicités et surexposés sur la scène internationale.

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(1) Quelques œuvres se distinguent de cette évolution, par exemple : Descension installée dans les jardins du château de Versailles se confronte efficacement avec les dimensions et la nature du lieu et crée une fascinante « aspiration » vers les profondeurs qui vient contrarier les perspectives lumineuses du Roi-Soleil. Cette œuvre me rappelle une œuvre de Fabrice Pichat réalisée lorsqu'il était étudiant à l'école des beaux-Arts d'Annecy. Au fond d'une flaque d'eau située dans une cour, il avait placé une petite hélice dont la rotation formait un tourbillon qui donnait l'illusion d'un écoulement sans fin et qui produisait un trouble d'autant plus insidieux que la flaque d'environ 1 m² n'était pas immédiatement perçue comme une installation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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