Nuit surexposée

Exposition En Chemin, musée des Beaux-Arts de Nantes.

« L’œuvre intitulée Night Enclosed in Marble de C-J H. Boutros est constituée d'une boîte en marbre blanc de Carrare (Italie) contenant 1 cm cube de nuit recueillie au cœur de la forêt Naas au Mont Liban. »…

...« Ce geste impossible, ce concept d'emprisonner l'impalpable repose sur la capacité du spectateur à imaginer la nuit à l'intérieur, comme s'il s'agissait d'un rêve ou d'une idée. »   in Livret d'Exposition

On le sait bien, beaucoup d’œuvres reposent sur la capacité du spectateur à imaginer, que ce soit 1 cm. cube de nuit dans une boîte de marbre ou "1 m. cube d'infini" contenu entre 6 miroirs, œuvre de Pistoletto où la présence des miroirs qui se font face nous permettent effectivement d'imaginer l'intérieur d'un cube dont les miroirs se réfléchiraient à l'infini. Dans l’œuvre de C-J H. Boutros, ce n'est pas la boite de marbre, parallélépipède très hermétique, qui nous permet d' imaginer la nuit à l'intérieur. Il faut lire le livret de l'exposition ou le cartel pour suivre la démarche de l'artiste, l’œuvre reposant alors sur une narration, une « croyance » comme le dit le livret. « Ce geste renvoie à la croyance et aussi à la mort, à l'obscurité définitive qui attend chaque être vivant. La poésie s'allie à la finitude. »

Dans les entretiens de l'artiste et dans les commentaires sur son œuvre, il est question « d'expérience spirituelle », « l'objet passe à un registre plus mental », le livret de l'exposition introduit même la notion de « sublime » et Léa Bismuth invente le « conceptualisme romantique », s'acquittant ainsi de l'opération routinière qui consiste à créer un nouveau label pour donner l'impression d'avoir cerner une démarche artistique.

En 1969, Robert Barry, était déjà très intéressé par la représentation des choses invisibles, impalpables. Par exemple, une de ses œuvres consistait dans cette description : « Dans la matinée du 5 mars 1969, 2 m. cube d'hélium ont été lâchés dans l'atmosphère » et dans une autre œuvre réalisée avec du krypton, il ajoute cette formule qui résume bien sa démarche : « From a mesured volume to indefinite expansion ». La même année, il fait fermer la galerie pendant tout le temps de son exposition, il manifestait par là, radicalement, que l'idée, le concept ne nécessitant aucun support réel autre que le langage, le lieu d'exposition devenait accessoire. C'était également un geste qui manifestait lucidement les limites de cette position artistique à l'intérieur du système traditionnel d'exploitation des œuvres d'art. Malgré tout, 50 ans après, des artistes continuent de jouer la carte conceptuelle mais cette fois, leur intervention est théâtralisée dans une débauche d'espace muséal dont la monumentalité accentue la fragilité des propositions jusqu'à les rendre très précieuses. « Night Enclosed in Marble » est protégée par un cordon qui empêche de s'en approcher, elle se perçoit comme une sorte de stèle, elle impose le recueillement et nous replonge dans une situation que des générations d'artistes ont toujours voulu éviter : le pouvoir sacralisant du musée.

Night Enclosed in Marbel, Charbel-Joseph Boutros