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gravité futilité 2

Judit Reigl maçonne

30 Septembre 2021 , Rédigé par richard Monnier Publié dans #peinture, #Judith Reigl

A gauche, Judit Reigl, à droite, Pierre Soulages. Musée des Beaux-Arts de Nantes.

En visitant le musée de Nantes je m'arrête devant un tableau de Judit Reigl intitulé « Comment faire danser un carré » 1964 (photo ci-dessus). Je lis sur le cartel : « Sur une toile blanche, l'artiste étale de larges amas de peinture noire avec une lame souple. Elle remonte du bas vers le haut pour donner l'impression d'une coulure à l'envers ».

Je ne comprends pas quel intérêt aurait eu J. Reigl de "donner l'impression d'une coulure à l'envers " ? Je ne suis même pas sûr que l'artiste ait eu envie de donner une impression. Retournons aux propos mêmes de l'artiste lors d'un entretien paru dans le catalogue de l'exposition organisée par le musée de Nantes en 2010. A la question de Jean-Paul Ameline :

- « Pourquoi la série s'intitule Écriture en masse ? » L'artiste répond :

- « Parce que la peinture est placée par masses sur la toile. J'avais acheté un matériau qui sert aux maçons : un noir broyé qui sèche lentement en profondeur […] A partir d'un fond blanc, je plaçais sur la toile les mottes de peinture avec une lame souple et arrondie, quelques fois une simple baguette de bois et je les « montais » ensuite de bas en haut sur la toile […] »

Ces précisions permettent d'écarter toute idée de coulure et nous orientent plutôt sur le faire. L'artiste étale les mottes de peinture placées les unes à côté des autres et les unes sur les autres, elle dit qu'elle les « monte » comme on dit qu'un ouvrier monte un mur, brique après brique. Pour employer un autre terme employé par les artisans, on pourrait dire qu'elle « dresse une surface ».

Dans un premier temps, cette technique distingue radicalement J. Reigl des artistes contemporains auxquels elle était associée dans les années 60. J.P. Soulages par exemple, dont un tableau a été justement accroché à côté de « Comment faire danser un carré ». Chez Soulages, le geste est plus lyrique pour employer un terme de l'époque, plus cursif pour rester dans le vocabulaire de l'écriture. De même, les gestes de Degottex, par exemple, s'apparentaient à des signes calligraphiques.

Dans un deuxième temps, le fait qu'une femme artiste adopte un matériau, une technique et le vocabulaire qui appartiennent au monde du bâtiment dont on sait qu'il est éminemment masculin, révèle déjà une position sur ce que nous appellerions aujourd'hui « la question du genre ». C'est si vrai que Marcelin Pleynet, son biographe, en est lui-même troublé. Dans le catalogue, cité plus haut, il écrit :

Quelles que soient les raisons que saurait sûrement invoquer l'auteur à propos du maintien de vieilles conventions grammaticales, il est difficile de ne pas sourire en lisant l'extrait ci-dessus sachant qu'il date de 2010.

Les lecteurs exigeants se lasseront sans doute de mes lectures pointilleuses, de mes remarques de petit correcteur de cartel, tout juste bonnes à divertir les amis pendant l'apéritif après la visite du Musée. Tant pis, je veux quand même insister sur le fait que le cartel est finalement le seul texte concernant l'artiste qui sera lu par les visiteurs non-initiés et le seul moyen de nourrir leur attention au moment où ils sont en présence de l’œuvre. C'est pourquoi le cartel mérite toute notre attention.

 

 

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A
Dans ton commentaire sur l'oeuvre de Judit REIGL ( comment faire danser un carré )tu évoques DEGOTTEX .<br /> Je viens de voir à PARIS une belle expo. de ce peintre qui adoptait de nouvelles techniques de peinture avec divers objets et aussi il pratiquait les reports .<br /> J'ai apprécié ces oeuvres d'une extreme délicatesse .des lignes creuses et en relief .......et tu l'évoques ! .<br /> MARCO A.
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